2 décembre 2011
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16:04
J'avais décidé d'aller travailler en bus. Je suis donc descendue en direction des quais, vers l'arrêt le plus proche. Ma rue, en descendant, fait plusieurs angles droits. En montant aussi ! Au second, je me suis arrêtée, et, plus ou moins, dissimulée sous une porte cochère. J'ai attendu cinq minutes, mais n'ai vu descendre que deux filles ayant l'air de beaucoup s'amuser, et un mec, qui ne m'a prêté aucune attention…
Le matin, en partant, j'ai accompagné Chouk jusqu'à son scooter. Puis, je me suis dirigée vers l'arrêt de bus tout proche. A mi-chemin, j'ai été rattrapée par une moto. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qui c'était. J'ai senti un filet d'électricité descendre le long de ma colonne vertébrale. Il a enlevé son casque, me l'a tendu, et m'a proposé en souriant de me ramener chez moi. Il était vraiment mignon, avec son éternelle barbe de trois jours et ses mèches folles…
C'était hors de question. Nous avons parlementé un moment, puis décidé d'aller boire un café au petit bar en face. J'y étais connue, je m'y sentais en sécurité. Nous nous sommes assis le plus à l'écart possible. Il a enlevé son blouson, l'a plié en deux, le cuir à l'intérieur, l'a posé sur la table. A mis son casque par-dessus. J'étais assise en face de lui, mon sac sur mes genoux. J'ai dézippé mon perfecto, desserré mon écharpe. Il a ri, m'a demandé si j'avais peur qu'il me vole mon sac. J'ai montré la table encombrée. Il a posé son casque à terre. J'ai mis mon sac sur son blouson…
Le patron est arrivé, affable comme à son habitude. Il a dit quelque chose comme Mademoiselle Lou-Ève me fait des infidélités, s'est plaint qu'il ne me voyait plus. Je lui ai souri, avec un geste de dénégation. Nous avons commandé des cafés et des croissants. Et avons attendu, en silence, d'être servi…
J'ai apporté beaucoup d'attention à la dissolution du demi-sucre dans ma tasse. J'ai fait tourner la cuiller beaucoup plus que nécessaire. Je le regardais à la dérobée. Je le trouvais vraiment craquant. J'étais partagée entre le désir de me laisser vraiment aller, de profiter du moment et la crainte de faire le pas de trop. Je m'en voulais de cet apriori. Il s'est levé, s'est excusé, m'a demandé de l'attendre un moment et s'est dirigé vers les toilettes. Je le regardais s'éloigner, sûr de lui, d'une démarche nonchalante. Mon regard s'est machinalement posé sur son blouson. De la poche intérieure, je voyais dépasser son portefeuille.
Il fallait que je fasse vite. J'ai tiré un peu le portefeuille. Derrière est apparu un passeport. Je l'ai pris, l'ai ouvert. J'ai lu Hristo Mircev. J'ai rangé précipitamment le tout dans la poche du blouson. J'ai posé mon sac, de manière à ce qu'il me masque la poche et son contenu. J'ai porté le café à mes lèvres au moment où il faisait sa réapparition dans la salle. Il a repris sa place en face de moi, a demandé si je voulais un autre café. Après ma réponse négative, il s'en est commandé un autre. "Liouve dit toujours non…" J'ai souri en le regardant. "Je dis oui, quand j'ai envie…" "Je m'appelle Pavel…Tu as peur de moi ?" "Oui, bien sûr !" "Ah mais, pourquoi ?"
"Roksanna est contente ?" Il m'a regardée avec des grands yeux, l'air de ne pas comprendre. J'ai fait un trait sur ma joue gauche avec mon index, pour simuler une cicatrice. Son visage s'est éclairé "Ah oui, très, beaucoup…" Un moment, puis "Je suis très… " Il a posé la main sur son cœur, en le pressant plusieurs fois. "Très…" J'ai complété "Amoureux ?" "Oui, c'est ça, très amoureux de toi…" J'ai souri. "Tu ne me connais pas…" "Mais je suis !"
"Ecoute… Pavel !" J'avais failli dire Hristo. "Je voudrais que tu arrêtes de me suivre. Je voudrais que tu me laisses tranquille. Je te trouve très mignon. Tu es gentil avec moi. Mais je voudrais que tu me laisses tranquille ! Je n'aime pas les garçons ! Tu comprends ça ?" J'avais élevé la voix. Il m'a regardé l'air surpris. "Non, je comprends pas… Je veux être ami de toi !" "Et moi, je ne veux pas…" Je me suis levée, j'ai ajusté mon foulard, refermé mon perfecto. J'ai pris mon sac, qu'il a essayé de retenir. Je suis allée au comptoir régler nos consommations. Le patron m'a demandé s'il y avait un problème. J'ai souri, dit jusque-là, tout va bien. Je suis sortie, tandis que Pavel-Hristo quittait la table. J'ai marché sans me retourner jusqu'à l'arrêt de bus. Je suis restée debout, négligemment appuyée contre Alain Delon, qui me regardait avec bienveillance, ses lunettes Krys sur le nez. Il semblait me donner raison.
Du coin de l'œil, je surveillais Pavel-Hristo, mon russe bulgare blond motard, prendre tout son temps pour enfourcher son bolide. Le regard toujours tourné vers moi. Le bus est arrivé. Je suis montée, et suis allée vers le fond. Je savais qu'il allait nous suivre. A l'arrêt suivant, une place assise s'est libérée. Je m'y suis installée. Je ne voulais pas regarder ce qui se passait derrière nous.
Je suis descendue à mon arrêt habituel. J'ai regardé alentours. Je n'ai pas vu de moto suspecte. J'ai traversé le quai, me suis dirigée vers le bureau de tabac. J'ai acheté un paquet de cigarettes. Je savais que l'absence de moto derrière moi, n'était pas signe de victoire. Il avait fort bien pu monter Saint Barth, et m'attendre en haut de ma rue. J'ai trainé un peu, puis me suis décidée à rentrer chez moi. Au dernier angle droit, je me suis collée contre le mur de pierres, j'ai avancé doucement ma tête, pour regarder la dernière partie droite de ma montée. Je n'ai vu personne. Cela n'était aucunement une assurance, la différence de niveau, et les marches pouvaient suffire à le masquer s'il était stationné côté opposé, dans Saint Barth.
Mais, je n'avais plus de choix. J'ai monté bravement la dernière portion, regardant le bout de mes bottines, et priant, notre père qui êtes odieux. Il m'a exaucée…