Vers 16:00 à ma pause, j'ai filé à la Part Dieu, dit à Mélanie que le soir j'avais un poker, qu'elle pouvait aller dormir chez moi que je la retrouverai dans la nuit. Elle m'a dit peut-être. Je lui ai laissé un jeu de clés. Puis je suis allée dans une boutique voisine m'acheter la petite robe blanche, sur laquelle j'avais flashé, façon macramé (modèle chic en guipure, dixit la dame vendeuse pour justifier le prix) manches 3/4, courte, sensiblement mi-cuisses, décolletée en triangle. Très belle… Ma grand-mère aurait dit que c'était une chemise de nuit de sa mère.
Le soir, lorsque je suis arrivée chez moi, j'ai filé à la douche, me suis maquillée léger, poudre transparente, blush bois de rose, rose léger sur les lèvres, fard beige sur les yeux, avec une ombre plus soutenue, disons taupe, dans le pli des paupières, et mascara noir intense pour donner du volume à mes cils. Parfumée n°5 en abondance. Un soutien-gorge en triangle et un string blancs. Ma petite robe fraichement acquise, des chaussures bridées aux chevilles, avec un talon raisonnable, un petit gilet à sequins. Une pochette en cuir, avec fermeture aimantée. Le tout blanc. La vierge prête pour le sacrifice.
Un coup d'œil à mon réveil 21:30. Heureusement la Villa Florentine est à deux pas de chez moi. Je n'aurai au pire qu'un quart d'heure de retard, c'est presque de la politesse…
J'arrive Villa Florentine. Je monte les escaliers. Un serveur vient au-devant de moi. "Mademoiselle ?" "Je suis attendue." Et là, l'angoisse. Je suis sure d'être attendue ? Et pire, je ne connais pas son nom. Je vois le serveur qui poliment attend des précisions pour me guider. Je sens le rouge me monter aux joues. Important le maquillage léger. Je dois avoir l'air d'une tomate. "Euh, je ne connais pas son nom…" Regard du serveur, qui intérieurement doit se demander "c'est qui cette pute…" le tout dissimulé derrière un sourire engageant. Il faut que je fasse quelque chose, je sors mon portable, cherche le numéro dans les appels reçus, et hop, j'appelle. Une voix que je ne qualifierai pas d'aimable "Oui, bonsoir, tu as changé d'avis !" Même pas interrogative. Et moi, voix assortie à ma tenue virginale. "Non, pas du tout, je suis arrivée, mais je ne sais pas comment vous rejoindre…" "Je viens te récupérer…" Je dis au serveur "Merci, il arrive" et lui un peu goguenard il me semble "Bonne soirée Mademoiselle."
Benoit arrive, me fait la bise, et me dit suis-moi. Il me fait traverser une grande salle, des statues d'anges, des peintures aux murs, des balcons de bois, et plein de monde. Et moi, comme d'habitude, sans doute un stress dû à mon arrivée délicate. "J'aimerai aller aux toilettes…" Une véritable marque de fabrique.
Il m'a attendu. On finit notre traversée de la grande salle, on sort sur une terrasse. Vue magnifique sur le vieux Lyon illuminé. Une table raffinée, des bougies. Je me dis "S'il a réservé une chambre ici, je couche…" Nous nous asseyons, consultons la carte en parlant de tout et de rien. Deux flûtes de champagne arrivent comme par magie. J'ai un peu chaud, je pose mon gilet. Il me dit "Tu es vraiment ravissante." Je remercie. Je me demande ou j'ai mis les pieds, et comment je vais m'en sortir…
Après deux ans d'hésitation (moi) il choisit pour nous le menu des Terrasses. Je choisis la fricassée de Gambas plutôt que le filet de canette. Le canard, ce n'est pas trop mon truc. Et on reparle de tout et de rien. Du poker de l'autre soir, de moi qui suis belle, de ma robe extraordinaire, de mes cheveux, de mon travail, du docteur D.. Je lui pose quelques questions, lui demande dans quoi il travaille. Fais ma bien élevée. Je sais bien que l'on va finir par parler d'autre chose un jour…
On nous amène un biscuit aux amandes avec une crème mousseuse au chocolat. Là, j'atteins un peu ma limite. Je ne sais pas encore lequel des deux, de la crème ou du biscuit, je vais épargner. "Comment as-tu rencontré Mélanie ?" Ben voilà, on est arrivé. "A son magasin, j'ai eu un problème avec un article, elle l'a résolu, je l'ai trouvé sympa, c'était l'heure de fermeture, je l'ai invitée à prendre un verre, on a parlé, on s'est bien entendue, donné nos téléphones, tout quoi…" Je parlais, parlais. Je ne voulais pas lui laisser le temps de me poser des questions. "Tout ?" "Ben oui, tout ça quoi" et puis merde. "Elle m'a dit que vous étiez en instance de divorce…" "Oui, mais je réfléchis en ce moment. Je laisse un peu traîner. Je crois que ce serait une bêtise." "Ah !" "Vous êtes amies alors toutes les deux ?" "Ben, oui" "Mélanie m'a dit qu'il y avait plus entre vous…"
Le serveur m'a sauvée. Il est arrivé, m'a dit "Vous n'aimez pas ?" "Si, si, mais je n'en peux plus…"Il a desservi et une fille est arrivée avec un chariot de mignardises. J'ai choisi juste un truc à la crème. Parce que j'aime bien, et pour avoir une contenance…
"C'est un peu ce qui m'a fait réfléchir !" "Quoi ?" "Que vous ayez une liaison toutes les deux." S'il a réservé une chambre ici, il dort tout seul. "Et puis j'aime toujours Mélanie, comment ne pas l'aimer ? Ce n'est pas toi qui vas démentir !" "Ben, non ! Et où ça nous mène tout ça ?"
J'ai senti le froid. J'ai repassé mon gilet. "Tu veux rentrer ?" J'ai cru qu'il parlait de rentrer chez moi. "Oui, je veux bien." Soulagée. Il a appelé le serveur, et lui a expliqué que nous souhaitions nous mettre à l'intérieur, que j'avais froid. On nous a installés dans une salle plus petite. Il a fait un signe à un couple attablé un peu plus loin et qui était en train de régler son addition. Quand cela a été fait, ils se sont approchés, Benoit m'a présentée "Lou-Eve, une très bonne amie de Mélanie." Est-ce qu'il a appuyé sur le "très" ? Une courte conversation de circonstance, et ils sont partis en nous souhaitant une bonne fin de soirée. Benoit m'a demandé si je voulais un café. J'ai dit oui, et il a commandé.
"Et comment tu vois les choses ?" "Les choses ?" "Oui, le fait que l'on soit marié avec votre liaison !" Là, ça m'a un peu saoulée. Non, pas qu'un peu. Saoulée ! "Je m'en fous que vous soyez mariés ! Je suis amoureuse de Mélanie. Point. Jusqu'à présent, le problème ce n'était pas moi." J'avais crié, et on nous regardait. Et lui très maitre de lui. "Eh, ne te mets pas dans cet état. Je ne te fais aucun reproche." "Ben, super bien imité !" "Tu prends un alcool ?" et avec un large sourire "Une vodka à la fraise ?" Conne, j'ai ri. Mais la tension était retombée. J'avais besoin d'une contenance, encore, j'ai dit "Ça vous ennuie si je fume ?" "Oui, parce que c'est interdit !" "Ah oui, merde." Pas de contenance, mais ni l'un ni l'autre ne savions comment poursuivre. On se regardait en silence, en sirotant nos cafés. Il était presque deux heures…
"J'ai passé une soirée très agréable…" Là, il m'a mise sur le cul. "Je vais parler de tout ça avec Mélanie, et puis on discutera tous les trois." Une tombe. "Tu en penses quoi ?" Butée. "Je n'ai rien à en penser, je suis amoureuse de Mélanie, c'est tout." Il s'est levé. Moi aussi. "Je crois que c'est la meilleure solution." Putain, comment j'allais lui expliquer, moi, à Mélanie ? Le faux poker, le repas avec son mec… Il a payé avec sa carte. Nous sommes sortis. Il pleuvait. Un serveur est arrivé, nous a abrités sous un parapluie, et proposé de nous accompagner jusqu'à notre voiture. Sur les marches il m'a dit "Je te raccompagne." "Ce n'est pas la peine, j'habite à deux pas, je suis venue à pied." "Il pleut fort, tu vas être trempée !" Je n'avais pas envie de le trainer devant chez moi. Mélanie était surement là-bas, couchée… "C'est très bon pour mes cheveux." "Alors, je te suis à distance, on se fait la bise ?" Je suis allée l'embrasser. J'ai dit "On va avoir l'air drôlement con, tous les deux à dix mètres l'un de l'autre…" "Oui, on va avoir l'air con…" J'ai ri. Je lui ai pris le bras. "Allez puisqu'il faut, on y va…" On est arrivé devant chez moi, pas de lumière. Soulagée. "Et bien voilà, je suis arrivée… Merci pour tout" "C'est moi qui te remercie, on se revoit bientôt. Bonne nuit." "Vous pouvez ne pas parler de cette soirée à Mélanie ?" "Je ne sais pas, j'ai quoi en contrepartie ?" Je n'avais pas envie de glisser sur ce terrain. "Rien, faites comme vous voulez !" On s'est embrassés à nouveau, il a gardé mes mains dans les siennes juste un peu trop longtemps… "On se quitte comme ça ? Tu ne me fais pas entrer ?" "Non, pas ce soir… Matin ! Je suis fatiguée." Il a fait une sorte de grimace sourire en tordant sa bouche, a attendu un moment, s'est retourné, a hésité encore, est parti. J'ai attendu qu'il remonte ma rue et disparaisse de ma vue. J'ai ouvert doucement ma porte, je suis entrée. Je suis une vraie conne…