Dany et moi avions prévu d'aller nous promener pour parler. Entre nous. Mais, Mayken est venue, puis Simon, et mon père enfin. Nous avons parlé d'autres choses. Du ventre de Mayken, qui commençait à s'arrondir. D'une écho, le mardi, qui révèlerait, s'ils voulaient le connaitre, le sexe de l'enfant. En fin d'après-midi, Simon et Mayken sont repartis… Je me suis posée sur le canapé, contre mon père, pour regarder Stade 2. Comme avant, quand j'étais gamine. De temps en temps, maman me jetait des regards. Elle avait envie de savoir. J'ai été effrayée par l'accident de Simoncelli. Une larme m'est venue. Chamoulaud m'ennuyait. Je me suis levée, et j'ai dit à maman "Tu ne me ferais pas un massage…" Elle a compris. Nous sommes montées à l'étage, elle est allée récupérer les huiles à la salle de bains.
Je me suis déshabillée, puis allongée sur le ventre, n'allumant que deux bougies dans ma chambre. Maman s'est approchée et a remarqué les marques sur mes cuisses, mes fesses. Elles s'étaient pourtant beaucoup atténuées, jusqu'à presque disparaitre. "C'est quoi ça ?" J'ai ri et répondu par une plaisanterie, lui ai demandé de commencer son massage. J'ai mis en route mon IPod. Je me suis relâchée, detendue.
Maman avait les mains sur mes épaules. J'ai commencé mon récit. Le rendez-vous dans le rade, la présence du gros mec baraqué et tatoué, Max, la voiture, mes yeux couverts par un masque en satin noir, la longueur du trajet, le bruit des graviers sous les roues qui m'avait indiqué une arrivée imminente. J'essayais de raconter cela de façon détachée, drôle. Quelquefois, je sentais des pressions plus fortes de ses mains. L'entrepôt désaffecté, les grandes salles traversées, puis, la plus petite.
J'étais allongée, la tête reposant sur mes bras. J'ai dit que je m'étais déshabillée. "Entièrement ?" "Entièrement." "Et LE Max était toujours là ?" "Chut… Laisse-moi raconter…." J'ai menti, j'ai dit que non. Que c'était la princesse qui m'avait attachée. Elle a voulu savoir comment. J'ai raconté les bras croisés dans le dos, les cordes qui passaient au-dessus et au-dessous des seins. La jambe droite relevée derrière moi. Mimé. Fou-rire. Et puis l'amarrage de l'ensemble à une espèce de palan, de treuil. L'élévation pour ne laisser au contact du sol que la pointe de mon pied gauche.
Maman s'était arrêtée. "Masse ou je me tais…" Ses mains ont repris leur mouvement. J'ai dit le martinet à larges lanières de satin ou de velours rouges. J'ai plaisanté pour dire que cela expliquait les marques sur mes fesses. Que c'était parce que la teinture n'était pas sèche. J'étais bien. Elle m'a demandé de me mettre sur le dos. A crié doucement en voyant l'hématome sur mon sein gauche, juste au-dessus de l'aréole. Il avait pris une sale couleur, jaune, vert, violacé. J'ai minimisé, dit que ce n'était rien, juste un accident, le résultat d'un mauvais réflexe que j'avais eu.
Je voyais de l'incompréhension dans le regard de maman. "Comment peut-on avoir envie de ça ?" "Comment ? Je ne sais pas, mais on peut…" En riant. J'ai passé sur les cheveux tirés, les gifles, et des tas d'autres choses. Des tas. J'ai dit le froid, les crampes au mollet gauche, l'indifférence (feinte ?) de la princesse à ces tourments. Mais, ses regards interrogateurs. Et mes yeux plein de défi. Les longs moments où je me retrouvais seule, pendue à ce machin, en me demandant ce que je faisais là, et quelle serait la suite. Les questions de maman, mes réponses décalées, nos rires parfois, ses yeux agrandis souvent, ont fait que j'ai pu directement enchaîner sur la fin de la soirée…
Comment la princesse m'avait dépendue, détachée, ma jambe droite ankylosée qui refusait de me porter, mes difficultés pour me rhabiller. Mes douleurs partout. Tout cela de manière légère. La gentillesse du gros tatoué, une fois que nous l'avions retrouvé, dehors. La cigarette qu'il m'avait tendue, puis allumée. La musique, qu'écoutait la princesse, assise dans la voiture. Qui se trouvait être Madeleine Peyroux, ma chanteuse préférée. Et le titre "Standing of the roof top" qui évoquait étrangement ce que j'avais ressenti. Etre debout au bord d'un vide. Maman me regardait, m'écoutait, mais s'était arrêtée, ne massait plus. Je me suis tournée à nouveau sur le ventre et j'ai dit "Masse encore !" Elle s'est occupée de mes fesses, et c'était divin.
La prévenance de Max, qui avait remarqué que je tremblais de froid, et qui était allé chercher un plaid dans le coffre de la voiture. M'en avait couvert les épaules. Mon envie de faire pipi. Le buisson derrière lequel je m'étais cachée pour le faire. Le retour, les yeux à nouveau bandés. Le doux bercement des mouvements de la voiture. Le sommeil qui m'avait surprise presque immédiatement. Mon réveil devant le rade fermé. La rue noire et déserte. Mes difficultés à rentrer. Mon soulagement d'avoir trouvé un lit accueillant en arrivant…
"Je ne te comprends pas…" "Je sais, mais tu m'écoutes, et ça me fait du bien." "Tu vas recommencer ?" Je ne savais pas. J'avais éprouvé des tas de sensations. Qui, avec le recul, me paraissaient tantôt agréables, tantôt futiles, dénuées d'intérêt. Ou excitantes d'autrefois. "Non, je ne crois pas…" "Tu ne crois pas ou tu es sûre ?" Je n'étais pas vraiment sûre. "Je suis sûre." Elle m'a prise dans ses bras. "Je te trouve imprudente…" "Oui, maman ! Oh, mais putain, c'était bon…" Dans un éclat de rire. Elle m'a embrassée. "Tu vas le dire à Mélanie ?" "Bonne question ! Tu le dirais à papa toi ?" Toujours riant. Elle a ri aussi, m'a caressée la joue. "Ton père a raison, tu es folle." Sa manière de le dire, ses yeux riboulant de tendresse, le démentaient. J'ai annoncé "Je le lui dirai, mais je choisirai le moment…"